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Réflexion autour du Kalama Sutra |
Celui qui de ce sutra s’écarte d’un mot fait alors œuvre du diable. « Les bouddhas désapprouvent la lecture littérale des sutras », dit une certaine tradition. Mais qu’il s’abstienne de s’écarter d’un seul mot d’un sutra, celui qui cherche à le comprendre, car alors ce qu’il lirait serait un discours hérétique, et non plus du Bouddha. Les sutras bouddhistes utilisent par définition la matière verbale pour expliquer la vérité, le sens fondamental du monde. Ce sens est très profond et son accès est particulièrement difficile. Il y est question du vrai moi, de l’essence du Bouddha. Ce sens n’est pas accessible grâce à la lecture de quelques sutras ou aux discours des maîtres, et il déserte totalement les forums de discussion. L’illumination, en somme, n’est pas accessible par ces voies et la compréhension de ce vrai moi, de ce dharma sans commencement est hors de ces sentiers communs. Le vrai moi n’entend pas, mais sans lui nul ne peut entendre. Il ne parle pas, mais sans lui la parole n’existe pas. Subhuti, dit le Bouddha, ne dis à personne que j’ai parlé de l’enseignement. Pourquoi dis-je cela ? Si quelqu’un vient et rapporte : « le Bouddha a diffusé l’enseignement », il porte diffamation contre le Bouddha. Subhuti, celui qui prétendrait cela ne comprendrait pas ce que je dis. En vérité, il n’y a aucun mot qui exprime l’enseignement : telle est la seule manière d’exprimer l’enseignement. Le Bouddha enseigna durant quarante-neuf années. Il donna plus de trois-cents conférences. Pourtant il n’a jamais dit le moindre mot. Si quelqu’un utilise un certain mot sans avoir compris le sens fondamental de l’enseignement du Bouddha, tout le monde prétendra que cette personne ne l’a pas compris. Qu’il s’éloigne en revanche un instant du sutra, qu’il néglige un seul mot, et le sutra perd tout son sens et devient une hérésie. Un ami m’a récemment parlé du Kalama sutra en le qualifiant d’un des plus importants sutras du Bouddha, à cause notamment d’un passage fort connu des occidentaux qui évoquerait un individualisme libéral proche de la pensée occidentale. Ce passage insisterait sur la nécessité de douter de tout, de croire ce que nous avons envie de croire, notamment les théories qui nous sont profitables (alors qu’au contraire, il faudrait refuser toute théorie ne nous apportant aucun profit). En lisant ce passage, les gens en viennent à penser que le bouddhisme est une religion qui invite à tout chercher par soi-même en s’enfermant dans un scepticisme obsessionnel qui va jusqu’à refuser de croire la parole du Bouddha. Seul, le fait de croire en soi est juste. L’ami qui a évoqué ce sutra me disait que le texte contenait dix points principalement :
Lorsque mon ami m’exposa ces dix points, je ne contins pas ma surprise. Je suis pratiquant bouddhiste, et même si ma pratique est très médiocre, je peux affirmer immédiatement que ces dix paroles ne viennent pas du Bouddha, car ce genre de discours conduit les pratiquants à accroître considérablement les doutes qu’ils nourrissaient déjà. De surcroît, c’est une pratique qui cultive l’égoïsme dans la mesure où elle incite l’individu à pratiquer exclusivement ce qui lui convient. Cela ne l’aide en aucune manière à avoir confiance dans le Bouddha et augmente la distance qui le sépare de l’illumination. Pourquoi ? Laissez-moi s’il vous plaît vous l’expliquer. Pour accéder au premier fruit de śrāvaka, le bouddhisme affirme qu’il faut mettre un terme aux trois nœuds, c’est-à-dire à l’attachement aux illusions concernant la nature du vrai moi, à l’attachement à une vision confuse de l’enseignement et à celui enfin à une compréhension erronée de la pratique. Le śrāvaka qui délie ces nœuds se délivre du doute.
Je suis allé vérifier la traduction anglaise du Kalama Sutra. Les premiers versets du sutra expliquent que les habitants d’un village appelé Kalama rencontrèrent le Bouddha pour l’interroger. A l’une des questions qu’il leur posait, le Bouddha répondit en ces termes : Ô peuple de Kalama, vous doutez, je ne peux le nier. Vous n’avez point de certitude. Ne croyez pas ce que vous dit la tradition, ce que vous avez entendu, ce que disent les textes, ce que soulèvent vos soupçons ; ne croyez pas non plus vos raisonnements, les résultats de vos comparaisons ou vos ressentis. Ne croyez pas non plus quelqu’un parce qu’il est un maître vous. Vous devez par vous-mêmes comprendre quelles doctrines sont incohérentes, lesquelles vont essuyer des reproches, lesquelles subiront la critique des sages. Vous comprendrez finalement que le fait de suivre ces doctrines aboutit à la souffrance et qu’il est impératif de les rejeter.
Ce passage du sutra que nous venons de citer présente beaucoup de problèmes eu égard au bouddhisme. Le Bouddha n’a cessé de répéter que la vie était remplie de souffrances. Dans aucun sutra en dehors du Kalama sutra il n’a été question pour le Bouddha d’inviter les hommes à chercher la paix et le bonheur.
Les trois sceaux de l’enseignement du Bouddha se résument à ceci : tous les phénomènes sont impermanents, tous les dharmas nous enseignent que le vrai moi ne s’y trouve pas, et, enfin, le nirvāṇa est silence absolu.
J’ai également fouillé dans les compilations des sutras traduits en chinois. Dans la compilation de l’Agama sutra j’ai trouvé le Kalama sutra sous l’intitulé Qielan jing. On y relève cette histoire : le peuple Qielan est venu parler au Bouddha à cause des doutes qu’il avait sur la pratique de certains moines de sa connaissance. Le Bouddha lui a alors très clairement exposé les cinq préceptes, avant de l’inviter à les suivre. En revanche, ce passage incohérent au sujet du doute systématique est totalement absent du sutra.
Ainsi, si nous nous éloignons d’un seul mot d’un sutra, celui-ci devient immédiatement une hérésie. Ce passage purement inventé que nous avons examiné a fait perdre au bouddhisme beaucoup d’honnêtes pratiquants.
Notre espoir à présent est que le témoignage dont je viens de rendre compte sera profitable à d’autres pratiquants, et si le moindre mérite peut en sortir, que tous en puissent alors bénéficier. |
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